24/04/2020
Paris, terre d'urbanisme tactique inachevé ?
Avant-propos : Quand, il y a quelques semaines, nous avons entrepris la rédaction de cet article, les références à l'urbanisme tactique étaient encore rares. Il a suffi de la crise sanitaire que nous traversons et de l'idée de créer un réseau cyclable provisoire pour accompagner le déconfinement pour que (parfois abusivement) elles pullulent dans les media.
L'urbanisme tactique est une technique d'intervention dans l’espace public impulsé en 2005 à San Francisco par le Collectif Rebar puis théorisé par l’urbaniste américain Mike Lydon. L’urbanisme tactique repose sur trois principes :
- intervention lancée par les habitants,
- à petite échelle et sur du court terme,
- d'un coût très réduit
Sur Paris Intelligente et Durable Perspectives 2020 et au delà [Mairie de Paris, janv 2017] on lit : L’urbanisme tactique est à rebours des grands projets d’aménagement urbain. Ces projets permettent aux habitants et aux usagers d’un quartier d’être force de proposition, de s’investir pour leur lieu de vie, [...] ils permettent de multiplier les expérimentations, de disposer rapidement de retours d’expérience tout en maintenant la mobilisation.
Une intervention d’urbanisme tactique est un excellent moyen d’accélérer les choses. Elle est moins coûteuse et davantage axée sur les besoins de la communauté. L'exemple plus fréquemment cité pour l'illustrer est le concept de Parklet qui met en évidence la dimension expérimentale et temporaire de l'urbanisme tactique.
À plus large échelle on cite également la transformation de Time Square à New-York, effectuée en 2010 en une nuit. Les peintures au sol et les chaises déployées à titre expérimental ont permis de valider l’immense attractivité du lieu pour les habitants, les touristes et les visiteurs, et a conduit un an plus tard à un réaménagement complet pour 55M$.
Les actions d’urbanisme tactique interviennent essentiellement sur des temps courts . La méthode repose sur la capacité d’une action temporaire à faire émerger un débat et à proposer une piste alternative à un aménagement existant ou prévu. La décision de pérenniser ou non les initiatives et la valorisation du débat local sont essentiels.
La ville de Paris s'est de toute évidence largement inspirée de l'urbanisme tactique pour mener certaines opérations. De l'urbanisme tactique, elle a surtout retenu la possibilité de faire du low-cost en affirmant avoir mené une large concertation qui n'a parfois porté que sur des aspects cosmétiques.
Il y a heureusement de belles réussites, mais aussi des réalisations low cost pérennisées alors qu'elles auraient du n'être qu'éphémères. Exemples :
- la simulation effectuée en 2004 en préalable à la restructuration de la place du colonel Bourgoin peut être considéré comme les prémices de l'urbanisme tactique dans le 12e. Le résultat est à la hauteur des attentes.
- les jardinières installées en 2010 sur la place Sans-Nom devaient être expérimentales. On sait ce qu'il advint ...
- la pittoyable rue Verte (rue de Citeaux) qui a de toute évidence pâti du manque d'immplication des riverains
- les rues aux enfants (Charles Baudelaire et Bignon) qui sont déjà des réussites et ont tout pour le rester pour peu que l'on mette les moyens nécessaire à l'effacement définitif de leur caractère routier et à la mise en place d'un mobilier urbain adapté.
- dans le cas de la Petite Ceinture, la concertation menée par des prestataires de la ville a surtout porté sur les usages. On a ensuite invoqué des motifs de préservation de la biodiversité pour justifier les installations "cheap" quoi que nullement qualifiées de provisoires. Malgré cela, les promeneurs ne manqueront pas de comparer la Petite Ceinture à la Coulée Verte René Dumont ou la High Line de New York.
- Le récent réaménagement de la place de la Nation peut être vu comme exemple hybride :
Lancée en 2015 en même temps que celle de six autres places parisienne, la concertation a permis à des habitants et usagers de faire un diagnostique et de définir des objectifs. Une simulation de la chaussée rétrécie a permis de valider les effets sur le trafic.
En avril 2017, la Mairie de Paris a missionné le collectif Coloco&co pour mettre en scène une "démolition party" de la place.
On pourrait penser que la place de la Nation rénovée résulte elle aussi d'une opération d'urbanisme tactique. Il n'en est rien car c'est un espace trop important pour qu'une telle méthode soit applicable. Elle l'a tout au plus été pour satisfaire des usages ponctuels (enfants, chiens, boulistes ...), parfois au détriment de son unité. Certains choix, s'ils sont définitifs, ne sont pas à la hauteur d'une grande place parisienne.
La place rénovée a été inaugurée en juillet 2019 après un an de travaux. Au final, la réalisation ressemble fort à celle imaginée et publiée par l'APUR en 2008 (voir ici) :
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Par opposition à ces quelques exemples, on citera la place de la Bastille et plus encore l'aménagement des abords du Tramway des Maréchaux qui sont de vastes projets dont la cohérence et la qualité de réalisation ne doit rien à l'urbanisme tactique.
Sur les programmes électoraux des candidats aux municipales, on voit déjà poindre des esquisses de projets qui pourraient faire appel à l'urbanisme tactique. Avec le risque de les voir s'ajouter à ceux encore inachevés aujourd'hui ...
08:17 Publié dans Démocratie locale, Voirie Urbanisme | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : paris